Le deuxième axe porte sur les conditions matérielles, politiques et juridiques de la dépossession territoriale et sur les diverses modalités de la réponse amérindienne. La dépossession résulte d’abord du choc de deux logiques territoriales opposées : celle des Autochtones, qui sera progressivement marginalisée, et celle des colons et des entrepreneurs eurocanadiens, qui s’imposera comme la logique dominante, surtout à partir du XIXe siècle. Si elle résulte de nouvelles réalités économiques, la marginalisation territoriale des Autochtones témoigne aussi de l’émergence et de l’affirmation d’un nouvel État colonial. Au plan politique et juridique, la dépossession territoriale des Amérindiens se réalise en effet dans le cadre de la constitution d’une nouvelle souveraineté sur le territoire, celle des Britanniques, dont le Canada moderne est l’héritier. Cette souveraineté s’érige face à une autre — celle des Premières Nations — qu’elle doit supplanter, processus qui passe par le contrôle du territoire et la constitution d’une nouvelle légitimité juridico-politique.
Nous entendons, dans le cadre de cette Chaire, étudier le contexte idéologique et juridico-politique dans lequel se réalise la dépossession territoriale des Autochtones, pour voir comment elle est légitimée par les autorités coloniales et canadiennes. À travers ce deuxième axe de recherche, il s’agit notamment d’interroger le modèle britannique traditionnel, celui du processus de dépossession territoriale par voie de traités. Même si, à partir de 1760, le centre et l’est du Canada appartiennent au même grand empire colonial, la politique adoptée à l’égard des terres autochtones y suit toutefois des parcours dissemblables, la voie « classique » d’acquisition des terres par traités n’étant mise en œuvre que dans une colonie, le Haut-Canada, alors qu’ailleurs les autorités britanniques procèdent sans chercher à obtenir au préalable l’assentiment des Autochtones.
Le questionnement sur la manière dont les acteurs britanniques et eurocanadiens de cette époque ont rationalisé le processus de dépossession ne peut être dissocié d’une étude des rationalisations amérindiennes. La confrontation des logiques territoriales sur le terrain se combine à un affrontement entre des rationalisations juridiques souvent divergentes. Mais si les « forces de l’histoire » jouent contre eux, les Amérindiens n’assistent pas passivement au processus qui conduit à leur confinement progressif dans les réserves : ils protestent, revendiquent, cherchent à faire valoir leurs droits, invoquant leur occupation ancestrale des lieux, des promesses faites par les Britanniques, des traités, la Proclamation royale ou encore la tradition d’alliance avec les Européens. Sans banaliser les impacts de la dépossession, l’analyse des rationalisations des Autochtones permet de leur redonner un rôle d’acteurs historiques et de mettre en valeur leurs propres conceptions de leurs droits et des rapports qui les unissaient aux puissances coloniales venues s’établir en Amérique du Nord. Ce deuxième axe de recherche ouvre aussi la voie à des comparaisons intéressantes à l’intérieur même du Canada, avec la Colombie-Britannique, où les traités de cession furent l’exception. Des parallèles sont aussi possibles avec d’autres lieux de l’empire britannique, où la question territoriale se pose dans des termes similaires, comme l’Australie, où les peuples aborigènes ont été dépossédés sans que l’État colonial ne conclue de traités.